Ennemis
et super pouvoirs - I
Qu’est-ce qu’un game designer
et un info designer et comment travaillez-vous ensemble ?
Benjamin
Un game designer définit les règles du jeu, il crée les différents éléments
de jeu : comment un ennemi attaque le joueur, comment un obstacle fonctionne…
L’info designer traduit en programmation ce que le game designer a créé.
Yann
Mais dans la pratique, ce processus est beaucoup plus empirique et incrémental.
En effet, une idée sympa sur le papier peut se révéler ennuyeuse à jouer ou bien
trop spécifique pour être utilisée dans de nombreuses situations.
C’est
pourquoi dès qu’un élément du jeu est programmé, on le teste sur un niveau réel,
on note tous les problèmes rencontrés, on revoit la conception en conséquence,
puis on reprogramme le personnage. On renouvelle l’opération jusqu’à tendre vers
un comportement que l’on juge à la fois fun et susceptible d’être utilisé dans
de nombreuses situations. Certains persos ont ainsi été reprogrammés 5 ou 6 fois
pendant la production.
Benjamin Inversement, les idées peuvent
venir des graphistes ou des programmeurs. Par exemple, certains persos étaient
tellement sympas graphiquement que l’on s’est forcé à les faire rentrer dans le
game system.
Yann A un moment donné, on cherchait un gameplay
plate-forme qui pousse le joueur à aller de l’avant comme il y en avait dans Rayman
2. Dans cette optique, j’ai programmé des plate-formes ballons qui explosent et
font sauter en l’air Rayman. Je les ai proposés aux levels designers. Le composant
a été adopté et on a basé plusieurs niveaux sur le principe.
Benjamin
Bref, le game design, c’est 1% d’inspiration et 99% de transpiration !
Ce qui fait que le game design d’un jeu est bon, ce n’est pas seulement la rédaction
de la bible originelle, mais surtout l’ensemble des petites décisions qui sont
prises tout au long de la production du jeu.
Pourquoi
avez-vous décidé de développer le gameplay autour des ennemis dans Rayman 3 ?
Benjamin
Quand on a commencé à travailler sur le projet, nous nous sommes interrogés
sur les manques de Rayman 2. Nous avons trouvé qu’il n’y avait pas une grande
variété d’ennemis et que ce point devait être amélioré.
De plus l’une des
grandes nouveautés de Rayman 3 est l’acquisition de nouveaux pouvoirs offensifs.
Il nous a donc fallut développer une ribambelle d’ennemis qui exploitent au mieux
ces nouveaux pouvoirs.
Yann Je dois également avouer qu’au début
du projet, Half-Life était encore frais dans ma tête. Dans ce jeu, les ennemis
paraissent très intelligents alors même que les principes de programmation ne
sont pas très compliqués. J’avais très envie de reprendre le principe, d’autant
plus que c’était susceptible d’enrichir le gameplay et l’impression d’immersion
comme aucun jeu de plate-forme ne l’avait fait auparavant.
Comment
avez-vous procédé pour créer l’ensemble des ennemis ?
Benjamin
On a d’abord commencé par une période de recherche sur des principes d’ennemis.
On est vraiment parti dans tous les sens. On avait des ennemis qui attaquaient
au contact, d’autres qui attaquaient à distance, des ennemis offensifs, d’autres
défensifs, d’autres qui neutralisaient les poings de Rayman pour les retourner
contre lui... En gros, on a du aboutir entre 25 et 30 principes différents d’ennemis.
Parallèlement, Stéphane Zinetti créait l’univers graphique de pas mal de nos idées.
Yann
Puis est venu le temps difficile de la programmation. Pas mal de nos ennemis
étaient trop complexes et ne rentraient pas dans les spécificités techniques,
d’autres finalement ne fonctionnaient pas si bien que cela quand on les montrait
en focus group, et puis un petit nombre fonctionnait très bien. A ce moment là,
nous avons vraiment déchanté.
Nous avons alors adopté une stratégie quelque
peu darwinienne. Nous avons abandonné tous les persos qui ne fonctionnaient vraiment
pas et nous avons simplifié les autres. Par exemple, le bracadabreur avait au
départ 3 actions principales - Il protégeait un autre hoodlum en créant un
écran de protection - Il envoyait des boules de feu - Il attrapait le
poing de Rayman et le bloquait temporairement. Ce n’était pas bien clair d’avoir
un personnage qui à la fois attaque le joueur, le neutralise et défende d’autres
ennemis. Nous avons décidé d’en faire un personnage uniquement défensif en ne
gardant que la première action.
Benjamin Heureusement, Stéphane
et Stanislas, notre chef animateur, sont venu à notre aide. Tous les deux ont
réussi à trouver des attitudes à certains des ennemis qui les rendaient fun à
combattre ou qui nous donnait de nouvelles idées. Par exemple, on trouvait le
principe de jeu de l’aéroniflard assez bon mais pas révolutionnaire à tel point
que nous étions prêts à l’abandonner. En gros, ce personnage volant pouvait éviter
les tirs droits mais pas les tirs courbes. Stéphane a eu l’idée de faire un personnage
ultra rapide muni d’un canon chasse d’eau. L’animation de Stanislas le rendait
très dynamique et drôle. Nicolas, un infodesigner, l’a entièrement reprogrammé
et au bout du compte le personnage fonctionne maintenant à merveille. |